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La monétarisation des ressources naturelles est-elle la solution ?

Rédigé par le Pr. Nicolas Antheaume, licence CC by 4.00

L’entreprise a la capacité de créer de la valeur. En tant qu’entrepreneur, vous vous interrogez naturellement sur la valeur que vous créez : profit, notoriété, développement commercial, bien-être de vos collaborateurs, relations loyales et de long terme avec vos parties prenantes. Mais peut-être que vous vous interrogez aussi tout naturellement sur la valeur collective créée par votre entreprise (régénération des écosystèmes par exemple), les solutions (plus ou moins) innovantes pour réduire les impacts de votre activité, le montant que vous serez en capacité de verser chaque année pour défendre des causes qui vous tiennent à cœur.

En tant qu’entrepreneur valeureux, avant de vous interroger sur cet éventail d’hypothèses, il est essentiel d’examiner les impacts générés par votre activité. En effet, une externalité négative peut difficilement (voire ne peut absolument pas) être compensée par une action générant des externalités positives, celles-ci étant trop souvent éloignées des dommages générés à l’origine.

Piloter les prises de décisions, afficher une politique proactive d’évaluation des dommages causés par votre activité, mettre en place des actions correctives, autant de raisons de vous tenir informé des tenants et aboutissants de la monétarisation des ressources naturelles.

La définition économique des impacts environnementaux et des services rendus par la nature

L’analyse que proposent les économistes pour expliquer l’existence d’impacts environnementaux est que ces derniers ne sont pas pris en compte par les marchés. Autrement dit, lorsqu’une entreprise pollue ou contribue à la raréfaction de ressources rares elle occasionne des dommages au bien être des autres agents économiques et aux écosystèmes, sous la forme d’effets externes négatifs (1). Ces derniers ne sont pas pris en compte dans le coût des produits et services de l’entité qui les occasionne. D’un point de vue économique, les services que rend la nature sont gratuits et les dommages occasionnés ne sont pas supportés par l’entreprise. Lorsque des effets externes occasionnent des coûts, on utilise le terme de coûts externes. L’entreprise en est responsable mais n’en assume pas les conséquences économiques, sociales et environnementales.


Encadré 1. L’activité entrepreneuriale peut causer des dommages à l’environnement… mais pas que : L’exemple éloquent des PFAS

L’exemple des PFAS, une catégorie de substances ultratoxiques employés pour de nombreux produits et usages est particulièrement illustratif (fart utilisé sous les skis, mousses anti-incendie, isolants pour fils électriques, composants pour emballages alimentaires, gore-tex, teflon …). Ces substances, aujourd’hui disséminées dans l’environnement ont le potentiel de persister quelques centaines, voire quelques milliers d’année selon leur nature. En Europe, selon une enquête publiée par le journal Le Monde (2), dans le cadre du Forever Pollution Project, 20 entreprises produisent des PFAS, 232 sites fabriquent des produits qui en contiennent, 23 000 sites qui utilisent ont utilisé des PFAS sont contaminés et on soupçonne que 21 500 autres pourraient l’être. Un rapport du conseil Nordique des ministres a estimé que 15,6 millions d’Européens étaient affectés par des pathologies liées aux PFAS et que le coût de prise en charge pour les systèmes de santé européens serait compris entre 52 et 84 milliards d’Euros par an. Ce coût n’a jamais été pris en charge par les fabricants et les utilisateurs de PFAS, il se manifeste ailleurs que sur le marché des PFAS, d’où le terme de coût externe.


Pour une meilleure prise en compte des dommages liés à l’activité entrepreneuriale

Une recommandation phare issue de cette analyse économique est la nécessité d’appliquer et de généraliser le principe du pollueur payeur, à travers des outils économiques (taxes, marchés de droits à polluer, éco-participations, redevances).

Cette application étant imparfaite aujourd’hui, et n’apportant pas toutes les solutions, faut-il que les entreprises anticipent une plus grande application du principe pollueur payeur ? Doivent-elles tenter à leur niveau, de donner une valeur monétaire aussi complète que possible aux dommages qu’elles occasionnent ? Peut-on « compléter » le compte de résultat d’une entreprise, en retranchant de son résultat une estimation du montant des dommages environnementaux occasionnés ? Pourrait-on « compléter » un projet d’investissement en ajoutant aux dépenses la valeur des dommages environnementaux occasionnés par ce projet ? Dans une approche dite « faible » de la soutenabilité, centrée sur la valeur, certaines entreprises vont plus loin. Elles comparent même la valeur qu’elles ont créé (pour leurs clients, leurs employés, leurs actionnaires, …), à la valeur détruite (sociale, environnementale, …). Dans cette approche de soutenabilité faible, peu importe qu’il y ait de la valeur environnementale détruite, tant qu’il y a création nette de valeur.

Plusieurs arguments ont été proposés en faveur de la monétarisation et des expérimentations ont même été menées. Je les présenterai brièvement. Mais en « monétariste » repenti, qui a contribué à l’expérimentation dans ce domaine, je vous expliquerai pourquoi la monétarisation n’est pas, à mon avis, la bonne solution pour piloter la transformation des entreprises.

Toutefois, il existe quand même quelques pistes de monétarisation, qui ne s’inscrivent pas dans la lignée du calcul des coûts externes, qui sont intéressantes et que j’esquisserai aussi.

Un bref historique des expérimentations de monétarisation

A l’initiative des États…

Par commodité je ferai débuter ce bref historique avec les expérimentations conduites dans des Etats américains, par des Public Utilities Commissions (PUC), chargées d’attribuer des concessions à des producteurs d’électricité (3). A partir du début des années 1970, et pour arbitrer les choix entre les installations de génération d’électricité de différents types, les PUC de plusieurs Etats importants (New York, New Jersey, Massachusetts, Californie, …) ont pris en compte non seulement les coûts de revient techniques, mais aussi des coûts externes additifs, propres à chaque type d’installation, représentant leurs impacts sur la collectivité et sur les milieux naturels.  C’est ainsi que des entreprises, soumettant des propositions dans ces Etats, ont été amenées à tenir compte des coûts externes de la production d’électricité.

Les modes d’évaluation des coûts externes variaient toutefois grandement suivant les Etats. Le Department of Energy (DoE), préoccupé par le développement de ces initiatives et les polémiques qu’elles suscitaient, et considérant qu’il y avait là un sujet de réflexion qui dépassait la situation spécifique américaine, a proposé à la Communauté européenne de mener une étude en commun sur les coûts réels des dommages environnementaux induits par la production d’électricité. Le résultat de ce projet de recherche a été un cadre comptable d’évaluation des coûts externes liés à la production d’électricité. A la suite de ce premier travail, la Commission européenne a initié un ambitieux programme d’application pour différents modes de production d’électricité (charbon, gaz, pétrole, nucléaire, solaire, éolien). Les résultats de ce projet, baptisé ExternE (pour Externalities of Energy) furent publiés à la fin de l’année 1995 et le projet ExternE fut étendu, dans une deuxième phase aux coûts externes des transports.

Mais également à l’initiative des entreprises

Parallèlement des entreprises ont également mené des expérimentations pour calculer les coûts externes liés à leur activité. Dans les années 1990 et le début des années 2000, les plus connues et citées sont Ontario Power Generation, un producteur d’électricité canadien ; BSO/Origin, une entreprise néerlandaise de conseil ; Nuclear Electric, un producteur britannique d’électricité ; Volvo, un constructeur automobile suédois ; Anglian water et Wessex water, des entreprises britanniques de gestion de l’eau. Les motivations de ces entreprises étaient très diverses : contribuer à la décision d’investissement (Ontario Power Generation), ouvrir le débat sur la fiscalité environnementale (BSO / Origin), communiquer de manière partisane sur les atouts de l’énergie nucléaire (Nuclear Electric), contribuer à l’écoconception des produits (Volvo), mesurer le pourcentage des profits obtenus dans le respect de l’environnement (Anglian water et Wessex water).

Les grands modèles de monétarisation

A partir du début des années 2000, une approche du calcul pour les entreprises s’est progressivement imposée, le Sustainability Assessment Model ou SAM (4). Cette méthodologie a rapidement pris son essor. Les grands cabinets d’audit, s’inspirant de l’approche SAM, ont développé leurs propres méthodes. A partir des années 2010, sous la forme de « environmental profit and loss accounts (EP&L) » on observe aussi qu’un nombre significatif d’entreprises ont mené des expérimentations de calcul de coûts externes s’appuyant sur la méthode SAM. Citons notamment Novo-Nordisk en 2014 (entreprise pharmaceutique), Arla Foods en 2014 (agro-alimentaire), Vodafone Netherlands en 2015 (téléphonie mobile), ABN-Amro en 2017 (banque), Yorkshire water en 2015 et 2018 (gestion de l’eau) Arkéa Crédit Mutuel en 2021 (banque). Une seule entreprise, Kering (secteur du luxe), a dépassé le stade de l’expérimentation unique et publie régulièrement son EP&L depuis 2012. Enfin, notons la création respectivement en 2019 et 2020 de deux coalisations d’entreprises multinationales, la value balancing alliance (VBA) et la Capitals Coalition, soutenant chacune leur approche de calcul des coûts externes.

En quoi consiste la monétarisation et quelles sont ses limites ?

4 étapes pour aboutir à une évaluation monétaire des externalités négatives

Un calcul de monétarisation est un enchaînement d’étapes et un échafaudage d’hypothèses. En suivant la méthode SAM, quatre étapes successives mènent au calcul d’une évaluation monétaire. La première est la détermination des objectifs. La deuxième est la définition du périmètre ; la troisième la collecte des données physiques et leur interprétation en termes de conséquences environnementales et d’effets sur les écosystèmes et la société. La quatrième est la traduction monétaire.

Figure 1. Les 4 étapes permettant l’évaluation monétaire des ressources naturelles

Etape 1. Définition des objectifs poursuivis par l’entité

En ce qui concerne la première étape, nous avons pu voir dans notre historique que les objectifs des entreprises peuvent être très différents (de l’éco-conception des produits à la valeur collective créée pour s’assurer entre autres des choix d’investissements, en passant par la stratégie de communication ou encore la fiscalité). Ce cadrage essentiel est déterminant pour la suite.

Etape 2. Définition du périmètre d’évaluation

En qui concerne la deuxième étape, le périmètre, notons que les étapes du cycle de vie, de l’extraction des matières premières, jusqu’à la fin de vie du produit, ne sont pas toutes couvertes de la même manière par les entreprises citées en exemple. De même, les impacts environnementaux considérés ne sont pas tous les mêmes d’une entreprise à une autre.

Quelques illustrations pour mieux comprendre la définition du périmètre d’évaluation

Dans les versions les plus récentes du rapport publié par Kering, six catégories d’impacts et cinq étapes du cycle de vie sont prises en compte. Les cinq étapes sont la fabrication des matières premières, leur transformation, la fabrication des composants des produits, leur assemblage, et enfin les opérations de l’entreprise et des magasins. Les six impacts sont la consommation d’eau, la pollution des eaux, les gaz à effet de serre, les autres polluants atmosphériques, les déchets, les changements d’occupation des sols. Par comparaison, une entreprise comme Novo Nordisk découpe son cycle de vie en quatre étapes : les matières premières, les matières transformées, les produits finis et les opérations. Par ailleurs, cette entreprise ne prend en compte que quatre impacts, les émissions de gaz à effet de serre, les autres polluants atmosphériques, les consommations d’eau et les changements d’occupation des sols.

Etape 3. Collecte de données physiques pour déterminer les externalités environnementales

En ce qui concerne la troisième étape, les données physiques collectées sont une combinaison de collecte directe, d’estimations fondées sur des extrapolations de données directes, ou des modélisations mathématiques, couplées à des données secondaires, issues de la littérature, avec des niveaux d’incertitude importants.

Quelques illustrations pour mieux comprendre la définition des externalités environnementales

Prenons deux exemples. La consommation d’eau liée à l’élevage de vaches, pour fabriquer du cuir, peut soit être collectée directement auprès des fournisseurs si ces derniers sont identifiables, soit s’appuyer sur des études existantes qui correspondent à la moyenne du secteur. Ensuite, la consommation totale d’eau des tanneurs peut être obtenue d’abord avec des données directes obtenues auprès des fournisseurs, puis extrapolées à la totalité des fournisseurs en utilisant des ratios de consommation d’eau par € de chiffre d’affaires. Ou encore, à partir de données contenues dans des logiciels d’analyse de cycle de vie, on peut estimer une consommation moyenne d’eau par m2 de cuir fabriqué, ou par € de chiffres d’affaires.

Les flux de matières, de polluants, et les consommations d’énergie ainsi collectés ou calculés sont ensuite interprétés en termes d’impact environnemental. Prenons à nouveau deux exemples. Les émissions de gaz à effet de serre, exprimées en CO2 équivalent sont traduites en pouvoir de forçage radiatif (de manière totalement vulgarisée, le forçage radiatif correspond à la différence entre l’énergie reçue sur terre et l’énergie « évacuée » de notre atmosphère. Certains gaz -comme le CO2– ont le pouvoir de « retenir » l’énergie dans l’atmosphère, l’énergie reçue est alors supérieure à l’énergie évacuée. C’est pour cette raison que l’on parle de pouvoir réchauffant des différents gaz contenus dans l’atmosphère et que l’on qualifie de réchauffement ce type de phénomène). Quant aux émissions polluantes dans l’eau, elles peuvent être traduites sous la forme d’un indicateur « final » d’écotoxicité ou de toxicité humaine, ou sous la forme d’un indicateur intermédiaire comme l’eutrophisation qui décrit l’effet sur le milieu ambiant des polluants rejetés. Chaque entreprise est libre de définir les indicateurs qu’elle retient et en fonction de l’indicateur retenu ce sont des connaissances et des hypothèses différentes qui entrent en jeu. Par exemple, pour les émissions de gaz à effet de serre, les émissions sont exprimées en équivalent CO2 (combien de fois le pouvoir réchauffant du CO2, pour une liste précise de gaz et pour une durée de 100 ans).

Etape 4. Conversion des externalités négatives en unités monétaires

A la quatrième étape, la traduction monétaire, dans son expression la plus simple, consiste à appliquer un coefficient de conversion, qui transforme un impact quantitatif en valeur monétaire, là encore avec d’importantes marges d’incertitude. Ces coefficients de conversions sont fondés sur la littérature existante.

Quelques illustrations pour mieux comprendre le calcul des coûts des externalités négatives sur le climat et l’environnement

Il existe des études économiques sur le coût des dommages liés au changement climatique. Une étude récente (5) estime les dommages mondiaux à 38 000 milliards de dollars, soit 19% du PIB Mondial. Ce total peut tout à fait être divisé par les quantités de gaz à effet de serre émises dans le monde. Le coût à la tonne ainsi calculé peut ensuite servir à convertir les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise en une estimation de leur valeur monétaire. Toutefois, il faut avoir conscience que les études économiques divergent dans leur appréciation des dommages liés au changement climatique (sans parler des coûts à mettre en œuvre pour les prévenir, ce qui est encore une autre approche). Le lecteur comprendra aisément qu’en fonction des valeurs de conversion retenues, et des approches qu’elles représentent, on peut aboutir à des résultats différents.

Aucune entreprise n’est donc comparable à une autre et chacune des étapes entraîne un cadrage, une sélection des données et des choix méthodologiques qui ont un impact important sur le résultat final.

De la difficulté d’une conversion des externalités négatives en unités monétaires

Dans un travail exploratoire que j’avais réalisé pour une entreprise du secteur de l’énergie (6), j’étais arrivé à la conclusion que sur 300 flux physiques générés directement ou indirectement par le processus industriel étudié, il n’était possible de trouver une traduction monétaire que pour 25 flux dans le meilleur des cas. Les explications sont multiples. L’absence de connaissances scientifiques pour modéliser l’impact (donc le dommage monétaire) en est une. Les impacts sont également causés par plusieurs flux, ce qui rend inopérant l’attribution des dommages à un seul flux. Par exemple, les dommages causés à une rivière (perte d’agrément, pertes de faune et de flore, impossibilité de prélever de l’eau potable) sont imputables à plusieurs flux de polluants. Il est difficile de déterminer quel pourcentage du dommage revient à quel flux de polluant. Enfin, en l’état des connaissances, il existe plusieurs estimations possibles des dommages, hautes ou basses. Toujours dans ce travail pionnier j’avais identifié que l’écart entre la valeur la plus basse et la valeur la plus haute était d’un facteur de 1 à 10 000. Même en éliminant les valeurs extrêmes, l’écart restait de 1 à 100.

En conséquence, même s’il est possible de faire un peu mieux que mon travail exploratoire, une évaluation monétaire fondée sur l’estimation des coûts externes est une estimation qui :

  • ne reflète pas la totalité de la réalité physique,
  • est assortie de larges marges d’incertitudes,
  • comporte de telles latitudes de choix qu’une approche de comparaison des entreprises les unes avec les autres ne voudrait rien dire.

Selon moi mieux vaut en revenir au pilotage de quantités physiques (des émissions de gaz à effet de serre, des consommations d’eau, des superficies artificialisées, …). Dans les entreprises, les contrôleurs de gestion savent déjà utiliser des tableaux de bord avec des données quantitatives, non monétaires (les consommations d’eau et d’électricité font déjà l’objet d’un suivi par exemple, mais aussi les délais de livraison, le taux de non-conformité, la satisfaction des clients, le taux de rotation du personnel).

Simplement, aujourd’hui, ces indicateurs sont choisis car ils permettent d’anticiper la performance économique. Si vos clients ne sont pas satisfaits par exemple, autant le savoir tout de suite plutôt que d’attendre la production du compte de résultat par votre expert-comptable, quand il sera déjà trop tard. En étendant cette logique de pilotage, il est tout à fait possible de piloter des indicateurs physiques qui ont priorité sur la performance économique, qui l’encadrent, afin de veiller au respect de seuils environnementaux et sociaux. Une méthode comptable comme la méthode LIFTS met ainsi l’accent sur le suivi de budgets de ressources environnementales et d’obligations sociales (7) dans l’optique de décliner à l’échelle d’une entreprise le respect des limites planétaires et des fondations sociales en application des principes de la Doughnut Economy (8).

En définitive, quelques pistes pour monétariser autrement

Faut-il pour autant jeter aux orties la piste de la monétarisation ? Tout dépend à quoi elle sert et comment elle est conduite.

Par exemple, il reste tout à fait légitime de vouloir estimer combien va coûter le respect des limites planétaires et des fondations sociales, pour planifier les dépenses nécessaires et prioriser celles qui permettent d’atteindre les objectifs voulus dans une optique de meilleur rapport possible entre l’objectif atteint et le coût engagé. Cette pratique de calcul a toujours existé, même si elle n’était pas au service d’objectifs de développement durable suffisamment ambitieux. Une méthode comptable comme la méthode CARE (9) vise justement à poser le maintien des capitaux naturel et humain comme une obligation première et à modifier la comptabilité financière pour y inclure la comptabilisation des obligations et des coûts de maintien de ces capitaux.

Enfin, il est tout à fait possible de « monétariser » dans une optique de récompenser les comportements souhaités et de décourager ceux qui ne le sont pas. Tout une gamme d’options sont possibles : attribuer une partie importante du bonus des dirigeants d’entreprises sur la base du respect d’objectifs environnementaux et sociaux, prêter à des entreprises à des taux avantageux conditionnés aux respect d’objectifs de durabilité, créer une taxe interne à une entreprise, sur les émissions de gaz à effet de serre, qui alimente une « cagnotte » ; cette cagnotte devant servir à favoriser les dépenses qui permettent d’atteindre des objectifs environnementaux … ce serait l’objet d’un autre article tant le sujet est vaste.


(1) Le dictionnaire de l’économie, sous la direction de Bezbakh et Gherardi (2011), Larousse, définit un effet externe comme les « conséquences involontaires de l’activité d’un agent sur le bien être des autres »

(2) Gary Dagorn, Raphaëlle Aubert, Stéphane Horel, Luc Martinon et Thomas Steffen (2023), « « Polluants éternels » : explorez la carte d’Europe de la contamination par les PFAS », journal le Monde

(3) Energy Information Administration, septembre 1995, Electricity Generation and Environmental Externalities, U.S. Department of Energy, Washington DC, 98 p.

(4) Bebbington, J., Gray, R., Hibbitt, C., & Kirk, E. (2001). Full cost accounting: An agenda for action (Vol. 73, p. 172). London: Certified Accountants Educational Trust.

(5) Kotz, M., Levermann, A., & Wenz, L. (2024). The economic commitment of climate change. Nature, 628(8008), 551-557.

(6) Antheaume, N. (2004). Valuing external costs – from theory to practice: implications for full cost environmental accounting. European Accounting Review, 13(3), 443–464. https://doi.org/10.1080/0963818042000216802

(7) La comptabilité multicapitaux : le modèle LIFTS (Limits and Foundations Towards Sustainability Accounting Model), ouvrage collectif sous la direction de Delphine Gibassier, à paraître aux Presses des Mines, en mai 2025.

(8) Raworth, K. (2017). Doughnut economics: Seven ways to think like a 21st-century economist. Chelsea Green Publishing.

(9) Rambaud, A., & Richard, J. (2015). The “Triple Depreciation Line” instead of the “Triple Bottom Line”: towards a genuine integrated reporting. Critical perspectives on accounting, 33, 92-116.

Le contributeur

Nicolas Antheaume est Professeur en comptabilité pour le développement durable et l’économie circulaire à Nantes Université, co-directeur du Laboratoire d’Economie et de Management de Nantes-Atlantique (LEMNA).