Article rédigé par Ida Fartsi, Gwenaëlle Briand Decré, Ivan Dufeu, Muriel Travers, Gildas Appéré et Rodolphe Vidal, Licence CC BY 4.0
Selon le baromètre Greenflex (2023) (1), la santé est une préoccupation centrale pour les consommateurs. Toutefois, cette préoccupation tend à s’infléchir en raison d’un contexte en tension et inflationniste. Le prix est au demeurant le premier frein à la consommation des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique (Baromètre Obsoco/Agence Bio, 2024) (2).
Parallèlement, la part des produits transformés s’accroît dans le panier des consommateurs de bio : près des ¾ des produits bio vendus en France en 2023 sont des produits transformés (3). Or, ces produits affichent des prix plus élevés que les produits bruts, du fait de coûts de production plus élevés liés à davantage de main d’œuvre et d’investissements. Dès lors, comment se positionner au mieux pour répondre aux attentes des consommateurs qui ont une préférence pour les produits transformés mais dont le consentement à payer est de plus en plus limité ? Il n’existe pas de solution miracle mais une recherche récente conduite entre 2019 et 2024 nous invite à mettre l’accent sur plusieurs recommandations managériales à destination des transformateurs bio : il importe de bien étudier les représentations des consommateurs en matière de transformation alimentaire mais aussi de production biologique, afin de formuler une proposition de valeur pertinente (c’est-à-dire une offre dotée de bénéfices valorisés par les consommateurs ou en d’autres termes des gains qu’ils recherchent (un bon goût, un produit naturel, un produit bon pour la santé…) sans négliger pour autant la question de l’empreinte énergétique de la production.
La problématique qui se pose est l’arbitrage entre les attentes des consommateurs en matière de produits bio transformés et les choix décisionnels qui en découlent pour les entreprises, que ce soit en termes d’image, d’investissements et d’un risque d’effet rebond*.
* L’effet rebond renvoie à une situation où les gains en efficacité énergétique d’une technologie sont partiellement ou totalement compensés par une augmentation de la consommation ou de l’utilisation de cette technologie.
Des représentations marquées par des formulations et des transformations naturelles
Les consommateurs, en transposant l’image de la production agricole bio à la transformation bio (4), associent les produits bio transformés à des produits respectueux de l’environnement. Ainsi, les produits bio transformés sont assimilés à des produits naturels et/ou plus naturels que des produits conventionnels (non certifiés bio) (ibid).
Le caractère naturel (« naturalité ») de ces produits bio transformés est notamment évalué par : (i) leur formulation, (ii) le procédé de transformation utilisé et (iii) leurs caractéristiques organoleptiques. Généralement méfiants vis-à-vis des produits transformés car susceptibles de contenir des ingrédients artificiels, les consommateurs sont sensibles au clean label** et aux méthodes de transformation simples et respectueuses du produit. Additifs, arômes, ingrédients ultra-transformés réputés être néfastes pour la santé, sont autant de facteurs susceptibles de renforcer l’incompatibilité de la transformation du produit bio avec les attentes des consommateurs. De même, un degré de transformation perçu comme trop élevé ou des procédés de transformation jugés trop technologiques peuvent altérer la dimension naturelle de l’aliment biologique transformé. Aux yeux des consommateurs, les technologies les plus simples et les moins sophistiquées sont davantage valorisées, en particulier pour les produits nécessitant peu de transformations (5). Ces représentations fortes soulignent l’importance de la prise en compte du point de vue des consommateurs (4, 6). La nouvelle fonctionnalité de l’application mobile Yuka (2024), en offrant à ses usagers la possibilité d’interpeller directement les marques, confirme ainsi l’intérêt de permettre au consommateur de s’exprimer.
**Le clean label renvoie généralement à l’idée d’une étiquette comportant une liste d’ingrédients (naturels si possible) courte et exempte d’additifs/d’ingrédients controversés.
Consommation d’énergie lors de la transformation : limiter l’effet rebond
Du point de vue de l’entreprise et au regard de la récente flambée des prix de l’énergie (2022 – 2023), il est également important de prendre en considération l’empreinte énergétique de la transformation des produits, car un produit transformé est synonyme d’énergie consommée (ADEME, 2022) (7). De prime abord, opter pour des technologies modernes et sophistiquées (hautes pressions hydrostatiques, chauffage ohmique, champs électriques pulsés, ultrasons, etc.) pourrait contribuer à réduire cet impact en réduisant la consommation énergétique (8). En revanche, il s’avère tentant et parfois nécessaire de les produire à une plus grande échelle afin d’amortir les coûts élevés d’investissement. Il devient donc capital de prendre en considération un possible effet rebond car couvrir les investissements initiaux pourrait se traduire par une augmentation du volume de la production de l’entreprise (sauf si cette production vient se substituer à la fabrication et à la consommation à l’échelle globale de produits transformés non issus de pratiques agricoles respectueuses du vivant), toutefois ce paramètre n’étant pas maîtrisé par le transformateur, cette variable devrait donc l’amener à opérer un choix réfléchi en faveur d’une durabilité réelle (9) sans négliger le fait que les consommateurs peuvent se révéler méfiants vis-à-vis de ces procédés ayant une forte connotation technologique et donc potentiellement discordante avec leurs attentes.
Les conseils pour un entrepreneur bio valeureux : une proposition de valeur cohérente
Un tel décalage entre les représentations et les caractéristiques de ces produits bio transformés peut générer une situation d’inconfort chez les consommateurs. Cette dernière peut conduire à une dégradation de l’image et du capital marque des produits bio. Comment peut-on alors éviter cette situation ?
Une offre de produit en adéquation avec les attentes des consommateurs
Se lancer dans une offre de produits bio transformés portée par la naturalité nécessite d’intégrer :
- Des ingrédients de qualité pas ou peu transformés : travailler une composition « clean label »,
- Une transformation du produit simple et respectueuse des matières premières : de manière générale, privilégier des technologies familières et peu sophistiquées,
- Un engagement réel et transparent envers la durabilité sur lequel communiquer : montrer un réel engagement en faveur de la durabilité, à la fois dans les ingrédients, les choix de transformation et les pratiques de production ainsi que l’engagement social de l’entreprise.
Dans un contexte de plus en plus concurrentiel pour les produits bio, il est primordial pour une entreprise de veiller à défendre sa proposition de valeur (c’est-à-dire la mise en valeur des bénéfices appréciés par les consommateurs), tout en garantissant la cohérence des engagements promis par le label bio***.
*** Nous faisons référence ici au label Eurofeuille (référence Européenne). L'Eurofeuille ne couvre pas de paramètres précis au sujet de la transformation. Dans ce règlement, il est mentionné d'exclure les méthodes de transformation susceptibles d'induire en erreur quant à la véritable nature du produit et de recourir de préférence à des méthodes biologiques, mécaniques et physiques (Article 7, (CE) n°848/2018). Seuls les rayonnements ionisants sont exclus de l'ensemble de la chaîne alimentaire biologique selon cette même réglementation européenne (Article 5, (CE) n°848/2018).
Une offre de produit en adéquation avec l’image de marque et le positionnement de l’entreprise
Avant d’opérer un choix d’investissement potentiellement coûteux, développer une offre attrayante en adéquation avec la cible client et le positionnement de l’entreprise est nécessaire. Les choix de transformation n’étant pas neutre pour les consommateurs, les entrepreneurs doivent adopter une démarche prudente en :
- S’assurant que les choix de production opérés n’engendrent pas un effet rebond,
- Intégrant dès le début du processus de développement des produits bio transformé, le point de vue de la cible client. (Les consommateurs sont-ils prêts à accepter toutes les transformations possibles ? Pour quel type de produit ? etc.),
- S’interrogeant sur les ingrédients et les méthodes de transformation susceptibles d’être cohérents avec le positionnement marketing (Les ingrédients et méthodes de transformation reflètent-ils les valeurs et l’identité de la marque ? Ces choix renforcent-ils le positionnement de la marque ou génèrent-ils de la confusion ? etc.)
En conclusion, la transformation est un choix stratégique à évaluer de manière approfondie avant de se lancer dans cette voie
Proposer une offre de produits biologiques transformés, véritablement durable et naturelle aux yeux des consommateurs, nécessite une compréhension profonde de leurs représentations et de leurs préférences. Des ingrédients et des méthodes de transformation sophistiquées ne sont pas toujours compatibles avec l’image du bio, portée par la naturalité. Le non-respect de ces règles pourrait entraver la décision d’achat des consommateurs et compromettre la réussite commerciale des produits et des marques bio.
Et si vous vous posez des questions plus précises…
Le RMT ACTIA TransfoBio : un réseau d’experts pour informer et conseiller
Depuis 2014, le RMT ACTIA TransfoBio s’est emparé de ces questions en s’engageant à fournir des conseils spécialisés aux entreprises transformatrices de produits bio (certifiées par l’Eurofeuille) visant à promouvoir des pratiques de transformation alimentaire durables. Le réseau propose des outils d’aide à la formulation et à la transformation afin d’aider les entrepreneurs souhaitant bien faire. Dans un contexte réglementaire présentant peu de contraintes pour la transformation biologique (10) (e.g. existence d’une liste restrictive d’additifs autorisés, recours au traitement ionisant clairement interdit), des réflexions sur le point de vue des consommateurs français, jusqu’ici inexistantes, ont également été initiées (4).
Les contributeurs
Fartsi Ida est Maître de Conférences à l’Université du Mans (rattachée à l’IUT de Laval) et membre du laboratoire ARGUMans. Ses recherches portent sur les représentations et les attitudes des consommateurs à l’égard des produits bio transformés, pouvant générer de l’incongruence et endommager l’image de marque du capital bio.
Gwenaëlle Briand-Decré est Maître de Conférences à Nantes Université (rattachée à l’IUT de Saint-Nazaire) et membre du LEMNA. Ses recherches portent sur la transition douce des pratiques entrepreneuriales.
Ivan Dufeu est Professeur des Universités à Angers et est rattaché au GRANEM. Ses recherches portent sur le management des systèmes alimentaires alternatifs et plus largement sur les comportements des acteurs individuels et collectifs dans les filières alimentaires durables.
Muriel Travers est Professeure des Universités à Nantes Université et est rattachée au LEMNA. Ses recherches portent sur les comportements individuels face aux enjeux environnementaux et de santé.
Gildas Appéré est Professeur des Universités à l’Université d’Angers et est rattaché au GRANEM. Ses recherches portent sur les comportements individuels face aux enjeux environnementaux et de santé.
Rodolphe Vidal est coordinateur du pôle Qualités et Transformation de l’ITAB (Institut de l’Agriculture et de l’Alimentation Biologiques) et co-animateur du RMT ACTIA TransfoBio. Ses travaux portent sur les qualités des produits bio de la matière première agricole aux produits transformés
(1) Baromètre GreenFlex-ADEME de la consommation responsable (2023), « La santé globale, moteur de la consommation responsable ?
(2) Agence Bio/Obsoco, « Baromètre des produits biologiques en France – 2024 : consommation et perception », agencebio.org.
(3) https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/observatoire-de-la-consommation-bio/
(4) Fartsi I., Dufeu I., Briand-Decré G., Travers M. et Appéré G. (2023). Les aliments transformés peuvent-ils être réellement bio? Le point de vue des consommateurs. Décision Marketing, (2), 35-55.
(5) Fartsi I., Dufeu I. et Decré G. B. (2023). Chauffage ohmique, hautes pressions hydrostatiques, les technologies de pointe s’invitent dans les produits biologiques: quel impact sur la valeur perçue et les intentions d’achat des consommateurs?. In 4ème Journée du marketing et développement durable.
(6) Hüppe R. et Zander K. (2021). Consumer perspectives on processing technologies for organic food. Foods, 10(6), 1212.
(7) Une alimentation plus durable en 10 questions (ademe.fr)
(8) Chemat F., Rombaut N., Meullemiestre A., Turk M., Perino S., Fabiano-Tixier A. S. et Abert-Vian M. (2017). Review of green food processing techniques. Preservation, transformation, and extraction. Innovative Food Science & Emerging Technologies, 41, 357-377.
(9) Briand-Decré G. (2023), « L’effet rebond ou comment une idée a priori soutenable peut se transformer en gageure », disponible sur https://merveillogie.com/leffet-rebond-ou-comment-une-idee-a-priori-soutenable-peut-se-transformer-en-gageure/
(10) Règlement (CE) 834/2007