Rédigé par Elisabeth Cazier, le 23/04/2025 Licence CC BY 4.0
La méthanisation est une des solutions permettant de produire de l’énergie renouvelable. S’il s’agit d’un processus naturel, la production énergétique qui en découle soulève des questionnements qui méritent que l’on s’y penche. Après une définition du procédé, les raisons en faveur de la méthanisation permettront de mieux cerner les enjeux au regard des autres solutions de production d’énergie. Si cette solution a un gros potentiel de développement, il est essentiel de bien cerner les risques qui en découlent, pour optimiser les usages ciblés de ce processus de transformation de la matière organique. Autant de pistes de réflexion avant d’opter pour cette solution dans le cadre d’une activité entrepreneuriale.
C’est quoi la méthanisation ?
La méthanisation, aussi appelé digestion anaérobie, correspond à la transformation de la matière organique (déchets de cuisine, déchets agricoles, déchets verts, boues de stations d’épuration…) en biogaz (méthane et dioxyde de carbone) par des microorganismes en absence d’oxygène, à 35-55°C et pendant 30 à 60 jours(1). Ce biogaz va ensuite être :
- Purifié (le dioxyde de carbone est enlevé) pour atteindre 96% de méthane et être injecté dans le réseau de gaz naturel
- Purifié et mis sous pression pour être transformé en carburant pour les véhicules (GNV)
- Transformé à l’aide d’un moteur en électricité et en chaleur (2). Cette transformation va avoir une perte énergétique, ce qui va diminuer le rendement de l’énergie obtenue à 15-45% (3).
Le résidu non digéré est appelé le digestat et peut servir d’engrais naturel, source d’azote et de phosphore dans les champs pour remplacer les engrais chimiques (4). Un méthaniseur traitant 15 000 tonnes de déchets par an permet de chauffer 500 maisons ou d’alimenter 60 bus urbain en carburant (5).

Figure 1 :Description de la méthanisation, crée par E.A. Cazier avec Biorender.
Pourquoi faire de la méthanisation ?
La méthanisation est un phénomène naturel. Lorsque du lisier ou du fumier sont étalé sur les champs pour servir d’engrais, la méthanisation va avoir lieu et va donc relâcher du méthane dans l’atmosphère. 60% des émissions de méthane sont dû à l’activité humaine.
Le méthane étant un gaz à effet de serre, il est responsable de 30% du réchauffement climatique et à un effet de réchauffement 84 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (6). Ainsi, la production agricole était responsable de 145 millions de tonnes de méthane produit par an en 2017 dans le monde. Ce méthane est produit lors de l’épandage des déchets agricoles (fumier, lisier…) sur les champs, afin de servir d’engrais naturel. Cependant, en utilisant ces déchets pour réaliser de la méthanisation dans un digesteur, le méthane est ainsi capté et la production de méthane agricole pourrait ainsi être limité de 34% environs dans le monde (7). L’effet élevé du réchauffement du méthane est limité dans le temps car sa persistance dans l’atmosphère est de 9.1 ans (8), mais son oxydation va produire du dioxyde de carbone qui lui a une persistance d’au moins 200 ans mais qui est difficile à définir car il va être absorbé par les océans mais non détruit. Ce mécanisme d’absorption dans les océans pourrait cependant être perturbé par l’augmentation de l’acidification des océans dans les années à venir, qui est une des neuf limites planétaires (9).
La méthanisation va permettre de produire un digestat, contenant de l’azote et du phosphore qui peut servir d’engrais. De plus, par rapport à l’utilisation du fumier ou du lisier agricole comme fertilisant, la méthanisation réduit le nombre de microorganismes pathogènes par rapport aux intrants (à noter que les microorganismes pathogènes sont moins nombreux lorsque le méthane monte en température, les contaminations sont moins importantes à 55°C qu’à 35°C) permettant dans des conditions optimales de limiter les épidémies et la contamination des eaux (10).
En France, la méthanisation utilise en majorité des déchets (leur proportion dans un processus de méthanisation ne peut excéder 15% du poids total des intrants (11).
A retenir è Lorsque la méthanisation remplace l’incinération ou l’enfouissement dans le recyclage des déchets organiques, elle contribue à la fois à la production d’énergie renouvelable mais aussi à la production d’engrais naturel.
Plusieurs avantages sont à attribuer à la méthanisation :
- Le coût de traitement des déchets par méthanisation est 2 fois moins élevé comparé à l’incinération ou l’enfouissement (12).
- Depuis 2025, les déchets de cuisine des ménages doivent être recyclé (13), et l’utilisation de la méthanisation dans des villes disposant d’un réseau de gaz de ville permettrait d’avoir une production/utilisation de biogaz en cycle court.
- Le bilan carbone de la méthanisation des déchets dégradables pour la méthanisation est de 173kg de CO2/tonnes contre 374kg de CO2/tonnes pour l’incinération des déchets organiques (14).
- L’électricité produite à partir de la méthanisation a un bilan carbone (Tableau 1) beaucoup plus faible (11 gCO2eq/kWh PCI) que l’électricité produite à partir des éoliennes sur terre (14.1 gCO2eq/kWh PCI) ou en mer (15.6 gCO2eq/kWh PCI) ou encore par des panneaux solaires (25-43 gCO2eq/kWh PCI). Et si l’on compare avec le gaz naturel, le biométhane a un bilan carbone de 23-44 gCO2eq/kWh PCI, comparé à 227 gCO2eq/kWh PCI.
Ainsi, en France, la méthanisation correspond non seulement à une méthode de production d’énergie renouvelable mais aussi à une méthode de captation du méthane agricole et à une alternative à l’incinération ou l’enfouissement pour les déchets organiques.
Tableau 1 : Comparaison des bilans carbones des différentes sources d’énergie (15). GNL : Gaz naturel Liquéfié, GNV : Gaz Naturel Pour Véhicule, GNC : Gaz Naturel Comprimé, PCI : pouvoir calorifique inférieur correspondant à la chaleur dégagée par la combustion complète d’une unité de combustible.

Pourquoi la méthanisation se développe si vite ?
En France en 2024, le biogaz correspondait à 5.8% des énergies renouvelables (16). La méthanisation en France correspondait en 2024 à :
- 1096 installations produisant de l’électricité, pour une puissance installée de 601 MW (Mégawatt)(17). En 2023, l’ADEME a estimé la capacité installée de ces méthaniseurs à 2,5 TWh/an, (TerraWattHeure) correspondant à 0,3% de l’électricité produite en France (18). A noter qu’un TWh permet de fournir suffisamment d’énergie pour une agglomération de 1.2 million d’habitants (équivalent d’une ville comme Bordeaux). En parallèle, 1,9 TWh de chaleur sont produites par la transformation et valorisé localement sous forme de chauffage et de procédés industriels (19).
- 710 installations injectant du biométhane dans le réseau de gaz naturel (capacité installée de 13.1 TWh/an) (20). En 2023, l’ADEME a estimé la capacité installée de ces méthaniseurs à 9 TWh de biométhane injecté/an, correspondant à 2,5% de la consommation de gaz en 2023 (21). 1 TWh de biogaz/an était utilisé pour faire du bioGNV (gaz naturel pour véhicule) pour la mobilité en 2023, correspondant à 25,9% en volume au GNV en France (22).
La programmation annuelle de l’énergie (PPE 2019-2028) a défini des objectifs de production d’électricité par méthanisation à 270 MW en 2023 et 410 MW en 2028 (déjà dépassés, avec 46% de plus déjà installé en 2024) et pour le biogaz à 14 TWh en 2023 et 32 TWh en 2028 (23) (soit 2,5 fois la capacité actuelle). La méthanisation est une des seules énergies renouvelables à avoir atteint et même dépassé les objectifs du PPE. Le potentiel théorique en France des déchets méthanisable a été évalué par l’ADEME à 140 TWh en 2018.
Ainsi, la méthanisation a donc un potentiel de développement à ne pas négliger. Toutefois, l’atteinte des objectifs fixés nécessite un déploiement massif du nombre d’installations, installations qui appellent à la vigilance compte tenu des facteurs de risques qui y sont attachés.
Quelles sont les limites et les facteurs d’accidents ?
La méthanisation utilise du vivant : les déchets, qui peuvent varier en composition, et les microorganismes, qui peuvent varier dans le temps et l’emplacement. Ainsi, la production de méthane d’un déchet donné peut être très variable (jusqu’à 21%) (24), avoir des conséquences importantes sur la production de méthane réelle et donc des conséquences économiques (25).
Selon le gouvernement français (ARIA), 130 incidents ont été signalés entre 1996 et 2020, augmentant depuis 2016 avec 18,8 accidents par an, dont 74 % sont dus à des rejets de matières dangereuses ou polluantes telles que le biogaz dans l’atmosphère avec des rejets de méthane, de dioxyde de carbone ou de sulfure d’hydrogène (53 % des accidents) ou le digestat dans les sols ou l’eau comme source de pollution organique responsable de l’eutrophisation, de nitrates ou de microorganismes (32 %) (26). Ces incidents sont principalement dus au manque de formation des opérateurs (7% en France en 2020), aux conditions de travail (17%), à l’insuffisance des contrôles de sécurité (20%), à une mauvaise culture de la sécurité (4%), à l’identification des risques (22%), au mauvais choix des équipements (27%) et au sous-dimensionnement des installations (85% des digesteurs contrôlés en 2020 en France) (27). Cette dernière catégorie est renforcée par une mauvaise pratique : en France, seuls les digesteurs anaérobies d’une capacité comprise entre 30 et 100 tonnes/jour doivent être enregistrés et les digesteurs anaérobies d’une capacité supérieure à 100 tonnes/jour doivent faire l’objet d’une enquête publique. Cependant, un tiers des digesteurs anaérobies s’agrandissent dans les cinq ans suivant leur construction, dans le cadre d’une stratégie du « fait accompli », ce qui leur permet d’éviter une enquête publique. Cette pratique augmente le risque de pollution en pratiquant le sous-dimensionnement des installations (28).
Finalement, mythe ou véritable solution ?
Si les aspects techniques liés à la production d’énergie et de chaleur à partir de déchets organiques ont été détaillés dans cet article, un autre angle d’analyse permettrait d’approfondir notamment les effets induits du digestat, et sans être exhaustif, les problématiques liées à sa qualité, qui dans certaines conditions est susceptible d’engendrer une pollution des eaux (de consommation) mais aussi l’émission de gaz à effets de serre (protoxyde d’azote, méthane et dioxyde de carbone) lorsqu’il est épandu (lorsqu’il reste de la matière organique en sorti car la méthanisation n’a pas été complète ou par réaction de l’azote présent avec l’air). La production de protoxyde d’azote se produit d’ailleurs tout autant lors de l’utilisation de produits chimiques de synthèse.
La méthanisation représente une des solutions de production d’énergie, car elle permet dans un mode circulaire d’utiliser des déchets organiques qui seraient autrement enfouis ou incinérés et de produire une énergie renouvelable ainsi qu’une source d’engrais. Toutefois, la méthanisation ne peut être considérée au regard des facteurs de risques comme LA solution parfaite répondant à tous les besoins. Son utilisation devrait donc être envisagée pour certains usages ciblés, telles que la mobilité (flotte d’entreprise), la production d’électricité de proximité (pour un usage dans des locaux de production ou des bureaux) ou encore la production de chaleur pour se chauffer.
Elisabeth Cazier est Maître de Conférences en bioprocédés et microbiologie à l’IUT de Saint-Nazaire. Elle mène ses recherches au sein du laboratoire GEPEA (Génie des Procédés) de Nantes Université. Elle est spécialiste de la valorisation de déchets industriels par des microorganismes (bactéries, archées et microalgues) pour la production de molécules à fortes valeurs ajoutées.
Références
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- TIAN, Hailin et al. 2021. Life cycle assessment of food waste to energy and resources: Centralized and decentralized anaerobic digestion with different downstream biogas utilization. Renewable and Sustainable Energy Reviews [En ligne], vol. 150, pp. 111489. DOI: 10.1016/j.rser.2021.111489.
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